Privilège de la terre de France

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Le privilège de la terre de France [1],[2],[3],[4],[5] ou principe du sol libre[6] est un principe ancien du droit français selon lequel tout esclave foulant le sol de la France métropolitaine est aussitôt affranchi. Souvent exprimé par la maxime « Nul n’est esclave en France », il fut invoqué au cours de procès tels que celui de Furcy au début du XIXe siècle.

À la fin du XVIe siècle, Jean Bodin exprime ce principe ainsi : « la seruitude [...] n’a point de lieu en tout ce Royaume : de sorte mesme que l’esclaue d’un estranger est franc & libre si tost qu’il a mit le pied en France »[7]. Au XVIIe siècle, Antoine Loisel est le premier à le désigner comme une maxime[8] :

« Toutes personnes sont franches en ce roïaume : et sitost qu’un esclave a atteint les marches d’icelui, se faisant baptizer, est affranchi.[9] »

Histoire

Du Moyen Âge au XVIIIe siècle : un principe inviolable

Article détaillé : Édit du 3 juillet 1315.

« Le plus ancien acte législatif répertorié [...] qui associ[e] le nom de la France à la condition libre »[10] est une ordonnance de dans laquelle Louis X le Hutin proclame : « Nous, considérant que notre royaume est dit et nommé le royaume des francs ; et voulant que la chose soit accordante au nom, avons ordonné que toute servitude soit ramenée à la franchise. »[10].

Pour l'historienne américaine Sue Peabody, spécialiste de l'esclavage dans l'Empire colonial français, le privilège trouverait son origine dans un « principe municipal toulousain »[11]. En effet, dans l'édition de des Institutes coutumières d'Antoine Loisel, l'éditeur cite un arrêt de relatif à « quatre esclaves qui se sauvèrent de Perpignan à Toulouse » et qui furent affranchis par le syndic de Toulouse au motif que, « par un privilège de cette ville, toute sorte d’esclaves étaient libres dès qu'ils avaient mis le pied dans sa banlieue »[10]. Dans les Annales de la ville de Toulouse () de Germain de La Faille (-), l'auteur discute d'un cas approchant, porté à la connaissance des capitouls en , et précise que les juridictions municipales toulousaines fondaient leurs décisions sur une tradition propre à la ville[12]. Dans les Six Livres de la République () de Jean Bodin, l'auteur appuie sa description du principe sur deux arrêts du parlement de Toulouse dont il avait été témoin au cours de son séjour dans la ville comme étudiant, entre et [11],[13].

Le principe est consacré en [14],[15] par un arrêt du parlement de Guyenne[14] séant à Bordeaux[16] (où officie notamment Michel de Montaigne, fervent anti-colonialiste avant l'heure) : la cour y déclare que « la France, mère de liberté, ne permet aucuns esclaves »[17] et ordonne le mise en liberté d'esclaves qu'un maître d'équipage expose à la vente[18].

Aménagements coloniaux au XVIIIe siècle

Le 25 octobre 1716, un édit royal[19] indique qu'un maître peut désormais se faire accompagner en métropole de son domestique ou d’un esclave, afin de l'instruire en religion « et pour leur faire apprendre en même temps quelque Art ou Métier », fondant donc un statut d'exception. Cet édit est refusé par le Parlement de Paris, mais entériné rapidement par ceux de Bretagne et de Bordeaux, où les intérêts coloniaux sont importants[20]. Face aux abus, cet édit est encadré par un second, encore plus restrictif, le 15 décembre 1738[21].

En , la Constituante issue de la Révolution rétablit le principe du privilège de la terre de France par loi du [1] qui dispose que : « Tout individu est libre aussitôt qu'il est entré en France. »[22].

En , Bonaparte suspend[23] le principe par l'arrêté du qui interdit « aux Noirs, Mulâtres et autres gens de couleur d'entrer sans autorisation sur le territoire continental de la République » (qui dans la pratique ne s'applique qu'aux esclaves)[24]. Le même Napoléon signe également la loi du 20 mai 1802, qui maintient officiellement l’esclavage là où il n’avait pas été aboli en raison d'oppositions locales (en Martinique, à Tobago, à l’ile Maurice et à La Réunion) et l’arrêté consulaire du 16 juillet 1802 qui rétablit l’esclavage en Guadeloupe, où il avait été aboli en 1794[25].

Rétablissement définitif par Louis-Philippe et extension à tous les territoires

En , Louis-Philippe Ier réaffirme le principe dans une ordonnance du [26] qui dispose que, « dans le cas où un habitant [Blanc créole] amènerait avec lui en France un esclave de l'un ou l'autre sexe, celui-ci serait d'abord affranchi »[27].

En , le Gouvernement provisoire de la IIe République abolit définitivement l'esclavage par le décret du . Celui-ci réaffirme le principe et en étend le champ d'application aux colonies et autres possessions françaises. Son article 7 dispose, en effet, que : « Le principe que le sol de la France affranchit l'esclave qui le touche est appliqué aux colonies et possessions de la République. »[17].

Notes et références

  1. a et b Botte 2000, p. 1016.
  2. Chalaye 2006, p. 160.
  3. Frostin 2018, p. 35, 36, 279, 280, 448 et 449.
  4. Koufinkana 1992, p. 145, 146, 147, 148, 153 et 157.
  5. Pluchon et Suteau 2000, p. 437.
  6. Boulle 2018, p. 108.
  7. Peabody 2009, § 63, n. 103.
  8. Peabody 2009, § 63.
  9. Loysel 1607, livre I, titre I, III.
  10. a b et c Peabody 2009, p. 1331.
  11. a et b Peabody 2009, p. 1332.
  12. Peabody 2009, p. 1331-1332.
  13. Bodin 1576, liv. Ier, chap. V, p. 45.
  14. a et b Martin 2012, p. 311.
  15. Yardeny 1993, p. 121, n. 52.
  16. Martin 2012, p. 310.
  17. a et b Botte 2000, p. 1015.
  18. Botte 2000, p. 1015, n. 25.
  19. s:Édit royal d'octobre 1716 concernant les esclaves nègres des colonies
  20. « Être noir en France au XVIIIe siècle - Dossier de presse », sur ww2.ac-poitiers.fr, (consulté le ).
  21. Déclaration du Roy, concernant les esclaves nègres des colonies.
  22. Botte 2000, p. 1016-1017.
  23. Peabody 2009, p. 1329.
  24. Peabody 2009, p. 1329, n. 112.
  25. « Napoléon et l'esclavage : des documents rares seront exposés à La Villette », sur France info,
  26. Botte 2000, p. 1019, n. 45.
  27. Botte 2000, p. 1019.

Voir aussi

Textes officiels

  • Arrêté du 13 messidor an X portant défense aux Noirs, Mulâtres et autres gens de couleur, d'entrer sans autorisation sur le territoire continental de la République, dans Bulletin des lois de la République, IIIe sér., t. 6 : Second semestre de l'an X, Paris, Impr. de la Rép., an xi (lire en ligne), bull. no 219, texte no 2001, p. 815-816.
  • Ordonnance du du relative aux esclaves des colonies amenés ou envoyés en France par leurs maîtres, dans Bulletin des lois du royaume de France, IXe sér. : Règne de Louis-Philippe Ier, roi des Français, t. 12 : Premier semestre de , Paris, Impr. royale, (lire en ligne), bull. no 419 du , texte no 6276, p. 172-173.

Bibliographie

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • [Bodin 1576] Jean Bodin, Les Six Livres de la République, Paris, J. du Puis, , 1re éd., 1 vol., [6]-759-[72], in-folio (OCLC 457085989, BNF 30118041, SUDOC 134476247, lire en ligne).
  • [Botte 2000] Roger Botte, « L'esclavage africain après l'abolition de  : servitude et droit du sol », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 55e année, no 5,‎ , p. 1009-1037 (DOI 10.3406/ahess.2000.279898, lire en ligne). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • [Boulle 2018] Pierre-Henri Boulle, « La situation des libres de couleur en France métropolitaine (XVIIe siècle) », dans Dominique Rogers et Boris Lesueur (dir.), Sortir de l'esclavage : Europe du Sud et Amériques (XIVe – XIXe siècle), Paris, Karthala et CIREsc, coll. « Esclavages », , 1re éd., 1 vol., 277, ill., 16 × 24 cm (ISBN 978-2-8111-1990-4, EAN 9782811119904, OCLC 1043903318, BNF 45506532, SUDOC 227391861, présentation en ligne, lire en ligne), 1re part., chap. 4, p. 107-127.
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  • Antoine Loysel, Inſtitutes couſtumieres : Ou manuel de pluſieurs & diuerſes reigles, ſentences, & Prouerbes tant anciens que modernes du Droic‍t Couſtumier & plus ordinaire de la France, Paris, Abel L'Angelier, , 1re éd., 80 p. (OCLC 829487475, BNF 30828453, lire sur Wikisource, lire en ligne)Voir et modifier les données sur Wikidata

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